Chapitre 1 : Histoire d’une conversion
Voilà un bon moment que la nuit était tombée. Séreméla prit sa chope de raku-raku et la vida d’une traite, avant de pousser un profond soupir. En partant à l’aventure, elle espérait tomber sur un prince charmant, tel qu’ils sont décrits dans les livres. Au fond d’elle, elle savait bien que c’était stupide, mais comme elle avait vécu toute son enfance à attendre impatiemment le jour où elle pourrait partir à l’aventure chercher ce prince charmant, elle ne pouvait se résoudre à faire une croix sur ce mythe malgré le développement de sa raison parallèlement à l’avancement de son âge.
Voilà une demi-journée qu’elle s’était arrêtée dans cette petite auberge afin de se reposer après le long voyage qu’elle avait fait. Enfin, ça, c’est ce qu’elle essayer de se faire croire à elle-même. Elle avait quitté Mircalensil depuis à peine trois jours et s’était arrêtée dans la première auberge pour y chercher le « prince charmant ». Seulement, elle était assise seule à une table depuis son arrivée, et son observation minutieuse des mâles en présence lui avait fait constater avec regret que ceux-ci n’étaient pas plus « charmants » que ceux de Mircalensil : au contraire même, la plupart n’étaient que des brutes aguerries n’ayant aucun sens de la délicatesse ou même de la politesse. Depuis qu’elle était arrivée, elle avait dû refuser les avances d’une bonne dizaine de vieux barbus misogynes.
Séreméla tournait lentement la tête avec résignation pour commander une nouvelle chope de raku-raku quand son regard s’arrêta en direction de la porte : un nouvel aventurier venait d’entrer dans la taverne. Et dès le premier regard… Elle sut. Quelle beauté… Quelle classe il avait, avec son chapeau haut-de-forme… Et ses vêtements… Elle n’en avait jamais vu de tels auparavant : il était vêtu tout de noir avec une pièce d’une matière inconnue taillée à sa mesure, et un bout de tissu s’enroulait autour de son cou pour redescendre sur son buste. Ces vêtements n’avaient rien à voir avec ce qu’elle avait l’habitude de voir, mais ils étaient tellement bien taillés que cet étrange personnage devait certainement être très riche. Qu’est-ce qu’il était beau et élégant… Oui, c’était lui. C’était le prince charmant qu’elle attendait.
Soudain, le stress l’envahit. Que faire ? Elle n’avait même pas pensé à quelle attitude elle devrait adopter lorsqu’elle rencontrerait son prince charmant. Dans son esprit, c’était clair, il devrait venir à lui car elle était une princesse –dans son esprit en tout cas– et que les princes charmants viennent toujours voir les princesses. Mais la situation l’avait fait brusquement revenir à la réalité. Il était évident qu’il ne viendrait pas à elle ! Elle n’était pas très belle, après trois jours de voyages, et puis les nombreuses chopes de raku qu’elle avait déjà bues aujourd’hui ne devaient pas jouer en sa faveur… Elle se mit à paniquer :
« Que faire ? Il ne viendra jamais ! Jamais ! C’est fichu… Tiens, si, il vient… M’aurait-il remarquée ? Oui, il me regarde ! Ah, mais qu’est ce que je vais faire, qu’est ce que je vais dire ? A, quels beaux yeux il a… Ah, mais attention, il va parler ! Je dois faire attention à ma réaction ! »
« S’il vous plaît… »
« Ah, qu’il est beau ! Et quelle voix ! J’accepterai tout ce qu’il voudra faire de moi ! »
« … Vous n’auriez pas un ploud ? »~~~
Séreméla se réveilla et se leva difficilement. Sa tête était pleine de brouillard, elle avait du mal à distinguer où elle se trouvait. Elle tenta de se souvenir de sa soirée, mais la quantité d’alcool qu’elle avait avalé ne l’aidait pas à retrouver ses souvenirs. Le prince charmant… Oui, c’était cela, elle avait rencontré le prince charmant. Ce type lui avait posé une question bizarre… A propos d’un foulque, ou un truc du genre… Elle lui avait demandé de quoi il s’agissait, mais sa réponse ne l’avait guerre renseignée : tout juste avait-il dit que c’était ce que c’était, avant de partir dans un délire sur un chapeau… Mais il était si beau, si élégant, elle l’avait laissé faire… Oui, ils avaient passé la nuit ensemble.
Une fois ses souvenirs retrouvés, elle ouvrit ses sens au monde extérieur. Elle s’attendait à retrouver le bel aventurier à ses côtés, mais ce qu’elle vit la surprit grandement. Certes, il était là… Mais au pied du lit, en équilibre sur la tête –laquelle était enfoncée dans son chapeau–, les jambes en lotus et la main qui ne le soutenait pas en signe de prière, caressant son chapeau… Et il parlait tout seul :
« Quoi ? Il faudrait que je fasse ça ? Non, je ne peux pas, je ne vais quand même pas la tuer… »
« Quoi, me tuer, moi ? se mit-elle à paniquer.
Non ! Je refuse ! Ce n’est pas digne d’un prince charmant ! »Elle resta immobile et silencieuse dans son lit, terrorisée, et écouta la suite.
« Non, je ne peux pas la tuer, elle contient peut-être un éventuel futur fils… Et donc un éventuel nouveau GrandChapiste… Hein ? Comment ça, je ne peux pas avoir d’enfant ? Tu m’aurais donc menti ? Ah ! Non ! Je m’excuse, il est vrai que tu ne peux pas mentir, tu es le GrandChapeau, tout ce qui vient de toi est vrai puisque cela sort du Chapeau… Eh bien certes, je ne peux pas avoir d’enfant, mais rien ne m’empêche de faire de cette fille une nouvelle adepte du GrandChapisme… Elle me semblait assez réceptrice à ce que je lui disais, hier… »Il descendit de son équilibre pour se rasseoir, et se tourna vers Séreméla.
« Eh toi ! Je sais que tu es réveillée. »Il attendit une réaction, puis, dès que la tête de la jeune femme sortit de sous la couette, il lui lança :
« Eh, t’as pas un ploud ? »Séreméla le regarda, étonnée, puis lui demanda timidement :
« Ah, tu parlais déjà de ça, hier… Mais je n’ai pas bien saisi… Qu’est-ce donc, un ploud ? »
« Un ploud ? Ah ah, mais c’est évident pourtant, tout le monde sait ce que c’est, un ploud ! Un ploud… Bah c’est un ploud ! Rien de plus ! »Séreméla se gratta la tête.
« Heu… Désolée, mais je ne comprends pas bien… Ne pourrais-tu pas décrire un… « ploud » ? »Le jeune homme répondit, d’un air théâtral :
« Eh bien... Un ploud, c'est unique. Cela ressemble à tout et à rien à la fois... En fait, un ploud, cela ressemble surtout à un ploud. Ça a la forme d'un ploud, la taille d'un ploud, l'odeur d'un ploud... Un ploud, c'est un ploud quoi... »La jeune femme le regarda d’un air hébété. Elle ne savait même pas quoi répondre. Le jeune homme reprit la parole.
« Tu n’as pas l’air de comprendre… J’ai une proposition pour toi : convertis-toi à ma religion, le GrandChapisme. Nous t’expliquerons tous les détails quant aux plouds, ils n’auront plus aucun secret pour toi. Je peux te convertir maintenant, j’en ai les pouvoirs… Ceux-ci m’ont été confiés directement par le Grand Chapeau, notre dieu, tu sais… »Séreméla reprit ses esprits :
« Heu, mais attends, je n’y comprends rien… Je ne sais pas ce que c’est, ta religion… Et d’abord, pourquoi cherches-tu ces « plouds » ? »
« Ah ah, bonne question ! Eh bien c’est simple, le Grand Chapeau m’a chargé personnellement de collecter des plouds. Pour quoi faire ? Pour pouvoir en donner en récompense aux croyants faisant des bonnes actions du point de vue GrandChapiste. J’en ai déjà plusieurs en stock, mais il m’en faut toujours plus… Les croyants ne s’arrêtent jamais de faire de bonnes actions ! Chez nous, les croyants sont entièrement impliqués dans leur religion ! »
« Vous avez donc un stock de plouds ? Vous pourrez m’en montrer ? »
« Bien sûr que je pourrai t’en montrer… Viens avec moi, je vais te convertir. Une fois cela fait, je pourrai te donner un nom de GrandChapiste… Laisse-moi réfléchir. A présent, tu vas t’appeler… Qwalz. C’est un tiers de La Formule, c’est un grand honneur tu sais… »
« Bon, et bien c’est d’accord. Mais vous avez intérêt à m’expliquer en quoi consiste le GrandChapisme, car pour l’instant, je n’y comprends rien… Qu’est ce que « la formule » ? »
« Je t’expliquerai tout, ne t’inquiète pas… Mais d’abord, allons te convertir… »
« Attendez, vous ne m’avez même pas dit votre nom ! »
« Ah, c’est vrai, je ne me suis pas présenté… Je suis Tohwi Qwalzarci, prophète GrandChapiste. »